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Sep 07, 2021, Par: Ben Fyshe, Tasleem Dewani, Manal Kleib
On méprise, dévalorise et punit souvent les gens qui consomment des substances illicites. L’abstinence est souvent considérée comme étant la seule option en matière de traitement (Alberta Health, 2020). Cette mentalité est le résultat de politiques antidrogue agressives et stigmatisantes, qui punissent les personnes aux prises avec des troubles de l’usage de substances et leur imposent l’abstinence, et qui, par ailleurs, se sont avérées infructueuses dans une large mesure (Gray, 2012).
Malgré cet échec, les politiques mondiales en matière de drogues restent axées sur la punition et l’abstinence (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2016). Par contraste, le soutien socioéconomique et les programmes de traitement adaptés aux besoins individuels, comme le traitement par agonistes opioïdes injectables (TAOi), obtiennent des résultats cliniques supérieurs (British Columbia Centre on Drug Use, 2020).
L’approvisionnement en drogues illicites est de plus en plus contaminé par du fentanyl et d’autres substances dangereuses non réglementées. Le fait de fournir l’accès à des opioïdes de qualité médicale à des doses prescrites dans le cadre du programme de TAOi a permis de réduire l’incidence des surdoses et d’aider les clients atteints de troubles d’usage de substances à obtenir de meilleurs résultats pour la santé (Initiative canadienne de recherche en abus de substances, 2019).
Recommandations
- Le soutien aux clients qui éprouvent un trouble d’usage de substances doit être holistique et comporter une diversité d’options, dont des programmes de traitement fondés sur la sobriété et la réduction des méfaits.
- Le TAOi donne aux clients qui ne sont pas encore prêts à s’abstenir une chance de survie en leur donnant accès à un médicament de qualité pharmaceutique, ce qui réduit considérablement le risque de surdose.
- Le TAOi supprime les coûts et les risques débilitants liés à l’acquisition de drogues illicites, ce qui permet aux clients de satisfaire leurs besoins sanitaires, professionnels et sociaux.
- Les provinces doivent adopter un modèle de prise de décisions stratégiques fondées sur des données probantes en ce qui concerne le trouble d’usage de substances, plutôt que des programmes traditionnels qui s’en tiennent à l’abstinence.
Lutte antidrogue et Portugal
La criminalisation de la possession et du trafic de substances illicites ne comporte que peu d’avantages, sinon aucun, en ce qui concerne la prévention des surdoses, l’abandon de la consommation ou l’aide au rétablissement. L’échec de la prohibition de l’alcool et des politiques antidrogue passées et présentes aux États-Unis constitue peut être le meilleur exemple de l’inefficacité de la criminalisation (Gray, 2012).
Les politiques en matière de drogues restent axées sur la punition et l’abstinence
En revanche, le Portugal est bien connu pour avoir institué un changement radical afin de lutter contre la forte incidence de la consommation problématique d’héroïne et de décès des suites d’une surdose (da Agra, 2009; Laqueur, 2015). Le gouvernement portugais a été le premier à décriminaliser la possession de petites quantités (équivalentes à deux semaines d’approvisionnement) de toutes les substances illicites (Hari, 2015).
Par ailleurs, le gouvernement portugais est passé d’une culture fondée exclusivement sur la punition à une démarche plutôt fondée sur le soutien, tout en visant d’importants déterminants sociaux de la santé. Le financement qui était auparavant alloué à la punition et aux services correctionnels traditionnels est maintenant redirigé vers des programmes de soutien en matière d’hébergement, d’emploi et d’intégration sociale.
Il s’en est ensuivi une diminution notable des taux de consommation d’héroïne, des taux de surdose et des taux de nouvelles infections au VIH chez les personnes qui s’injectent des drogues (Hari, 2015). Cette transition vers la prévention, le traitement et le soutien socioéconomique est le changement de paradigme nécessaire pour contrer la consommation problématique de drogues en Alberta, au Canada et dans le reste du monde.
Une étude marquante des chercheurs Alexander, Beyerstein, Hadaway et Coambs (1981), qui a été négligée au moment de sa publication, a récemment influencé des points de vue plus nuancés sur le trouble d’usage de substance (Gage et Sumnall, 2019), et ses conclusions sont liées aux résultats des politiques révisées du Portugal en matière de drogues. Dans le cadre de l’étude, des rats étaient socialement isolés et avaient un accès illimité à de la morphine, ce qui entraînait systématiquement une surdose. Toutefois, lorsque les rats ont bénéficié d’interactions sociales et de stimulation mentale, comme des labyrinthes, en plus du même accès illimité à de la morphine, les surdoses ont cessé et l’usage général de la morphine a chuté (Alexander et coll., 1981).
Les conclusions de cette étude peuvent avoir des répercussions importantes pour la conception de traitements pour le trouble d’usage d’opioïdes. Si on appuie les patients atteints de ce trouble en rehaussant les déterminants sociaux de la santé, comme l’accès à des programmes sociaux, un logement adéquat et un emploi, tout en leur prescrivant des opioïdes, ils seront plus susceptibles de mener une vie productive et, éventuellement, de diminuer leur consommation problématique d’opioïdes ou de l’éliminer (Hart, 2017).
Les opioïdes injectables comme médicaments
En soi, le TAO oral, comme la buprénorphine/naloxone, la méthadone, ou la morphine orale à libération prolongée, pourrait être insuffisant pour gérer les manques et prévenir le sevrage chez certaines personnes atteintes d’un trouble d’usage d’opioïdes grave. En tant qu’option de traitement supervisé par un spécialiste, le TAOi est un traitement économique de haute intensité fondé sur des données probantes qui convient aux personnes atteintes d’un trouble d’usage d’opioïdes grave et qui s’injectent des drogues. Plusieurs villes au Canada et à l’étranger ont maintenant recours à des stratégies semblables (Bell et Strang, 2020; Schaverien et McCann, 2019).
Les données actuelles démontrent que le TAOi est avantageux en ce qu’il réduit la consommation d’opioïdes illicites, l’abandon prématuré du traitement, l’activité criminelle, l’incarcération et la mortalité (Strang et coll., 2015). Les gens qui reçoivent ce traitement identifient fréquemment les principales raisons suivantes pour accéder au TAOi : le désir de dépenser leur argent pour répondre à d’autres besoins fondamentaux, la possibilité d’éviter des activités à haut risque associées à l’achat illégal d’opioïdes et le désir de gérer leur consommation et de réduire leur risque de surdose (British Columbia Centre on Drug Use, 2020).
Le fait de fournir des médicaments de cette façon permet aux personnes de s’occuper des besoins fondamentaux qui n’étaient pas prioritaires auparavant en raison du besoin de se procurer des substances illicites de sources instables et peu sures. En interrogeant des personnes qui ont recours à un TAOi, Jackson (2021) a révélé, dans le cadre de sa recherche, une tendance constante selon laquelle ce programme permet aux gens de se concentrer sur la recherche d’un logement et d’un emploi, et d’améliorer leur santé globale.
Orientations actuelles en Alberta
Malheureusement, les TAOi ne sont plus offerts aux Albertains. En mars 2020, le ministre de la Santé de la province a en effet publié un rapport qui rassemblait des faits sur les répercussions socioéconomiques des stratégies de réduction des méfaits, comme les sites de consommation supervisée (SCS) et le TAOi (Alberta Health, 2020). Le mandat du comité chargé de rédiger le rapport excluait explicitement toute considération des « mérites d’un SCS comme outil de réduction des méfaits » (Alberta Health, 2020, p. 2). La participation communautaire et les commentaires obtenus étaient une combinaison de données empiriques, d’opinions et de données provenant en grande partie des forces de l’ordre et de premiers intervenants.
Le TAOi est un traitement économique de haute intensité fondé sur des données probantes qui convient aux personnes atteintes d’un trouble d’usage d’opioïdes grave et qui s’injectent des drogues
Les résultats indiquaient que les collectivités avoisinant le SCS ont constaté une baisse de la valeur des propriétés, une hausse de la criminalité et une recrudescence de seringues éliminées de façon inappropriée dans les lieux publics (Alberta Health, 2020). Malheureusement, la conception inadéquate de la recherche, le mandat restrictif du comité et son omission des avantages que comporte la réduction des méfaits jettent un doute sur la crédibilité des conclusions.
En outre, l’information en faveur des SCS a été minimisée. Par exemple, le recul de plus de 4 000 surdoses (Alberta Community Council on HIV, 2019), une des grandes réalisations des SCS de l’Alberta, a été qualifié d’inexact (Alberta Health, 2020), et cette affirmation a servi à dévaloriser le potentiel salvateur de ces sites.
Le mandat du comité, qui a influencé la façon dont il a recueilli l’information, porte à croire que le groupe d’examen a été créé pour produire une conclusion tout entendue : justifier la fermeture systématique des SCS en Alberta et réallouer une partie de ces fonds à des programmes de traitement traditionnels. Si le traitement fondé sur l’abstinence est une option nécessaire dans le continuum des soins pour les troubles d’usage de substances, cette répartition du financement devrait s’ajouter aux programmes de réduction des méfaits, et non les remplacer.
Après la publication du rapport, le 9 mars 2020, le gouvernement de l’Alberta a annoncé sa décision de cesser de financer le programme de TAOi, éliminant ainsi des options cette modalité de traitement indispensable et forçant plus de 100 clients à suivre des programmes de traitement conventionnels qui ne leur ont pas bien servi dans le passé (Olmstead, 2020). Ce changement abolit le soutien à des membres vulnérables de la société, même si leur participation au programme produisait déjà des signes de stabilisation.
Sensibilisation du public et défense des intérêts
La sensibilisation du public et la défense des intérêts en faveur d’un changement aux politiques en matière de santé sont des stratégies cruciales que le personnel infirmier et les étudiants en sciences infirmières adoptent pour améliorer les résultats en matière de santé pour tous les Canadiens. La Faculté des sciences infirmières de l’Université de l’Alberta, par l’entremise de ses programmes de premier cycle et de cycles supérieurs, a créé des vidéos et soumis des publications afin de sensibiliser le public et de promouvoir les connaissances générales sur des enjeux semblables.
La vidéo pédagogique de Tasleem Dewani (2020), qui vise à déboulonner les mythes et à mettre en évidence les résultats positifs en matière de santé découlant des SCS et du TAOi, est un exemple d’outil efficace qui a contribué à sensibiliser le public. Cette vidéo met en valeur l’influence potentielle des écoles sur la façon dont le public perçoit des questions sociales de ce genre.
Par ailleurs, les organisations de professionnels de la santé en première ligne militent pour un changement de politique par l’entremise de divers programmes. L’Alberta Nurses Coalition for Harm Reduction (ANCHR) est un réseau infirmier voué à la promotion de la réduction des méfaits en Alberta. Son mandat est de « favoriser la recherche et la formation et de faciliter l’accès aux ressources et aux mesures de soutien à l’intention du personnel infirmier de première ligne en Alberta qui cherche à intégrer la réduction des méfaits dans sa pratique » (ANCHR, s.d.). Ce groupe a besoin de plus de soutien, que ce soit par des fonds supplémentaires ou par l’inclusion d’autres groupes de professionnels de la santé, comme des médecins. Des efforts concertés sont nécessaires pour renforcer la sensibilisation du public à cet enjeu grâce à des campagnes sur les médias sociaux exhortant le gouvernement à rétablir les programmes de réduction des méfaits qui voient – et qui continueront à voir – leur financement supprimé.
Accroître l’accessibilité
L’Initiative canadienne de recherche en abus de substances (ICRAS) a élaboré des documents nationaux en vue d’offrir une orientation opérationnelle et clinique aux programmes de TAOi afin de les introduire dans les municipalités partout au Canada. Ses efforts peuvent aider à préparer le terrain pour que les données soient mises en application dans la pratique clinique et pour que des changements de politique soient apportés.
Afin d’accroître l’accessibilité aux TAOi, ces lignes directrices recommandent d’explorer leur prestation au moyen de divers modèles et dans divers cadres, notamment en cliniques, en pharmacies et dans les cabinets de médecins (OCRAS, 2019). La promotion des TAOi dans ces contextes normalise le traitement et contribue à réduire la stigmatisation associée à son accès.
Conclusion
Punir les gens d’avoir consommé des drogues s’est avéré futile et offre rarement à quiconque un résultat souhaitable. Des stratégies plus nuancées en matière de réduction des méfaits, comme les TAOi, doivent être adoptées et mises en œuvre en Alberta et dans tout le Canada pour soutenir les personnes atteintes de trouble d’usage d’opioïdes.
En l’absence de tels programmes, les personnes incapables de trouver une stabilité grâce à des formes orales de TAO continueront d’être exposées à des risques de résultats cliniques insatisfaisants, de blessures permanentes et de décès liés à une surdose. En plus d’entraîner des souffrances individuelles, ces piètres résultats imposent à la société un fardeau financier et social.
Il est impératif que les décideurs politiques aux échelons provinciaux et fédéraux tiennent compte des initiatives de plaidoyer et des données probantes issues de la recherche pour créer ou rétablir des programmes viables de TAOi.
Références
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Ben Fyshe, inf. aut., B. Sc. inf., est chargé de cours adjoint à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de l’Alberta.
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