https://www.canadian-nurse.com/blogs/cn-content/2021/08/30/indigenous-nurse-overcomes-racism-focuses-on-cultu
août 30, 2021, Par: Laura Eggertson
Note de la rédaction : Ce profil de Juliet Bullock fait partie de la série Franc Nord d’infirmière canadienne, qui met l’accent sur les témoignages et la pratique infirmière dans le Nord canadien dans certaines des conditions les plus difficiles au pays.
Les questions ouvertes sont le moyen privilégié de Juliet Bullock pour établir avec les patients des relations sûres et adaptées sur le plan culturel.
Juliet Bullock, qui est Gwichy’a, travaille comme infirmière en santé publique au Nunavut depuis trois ans. Elle fait des allers retours en avion dans des communautés comme Cambridge Bay et Kugluktuk à partir de Heriot Bay, où elle habite, sur l’île Quadra, en Colombie Britannique.
Bien que sa culture autochtone soit distincte de celle de ses patients inuits, Juliet Bullock partage ce lien de résilience avec eux, car elle a grandi à Inuvik, dans les Territoires du Nord Ouest, et a passé du temps au pensionnat autochtone Grollier Hall.
Elle comprend le traumatisme qui est au cœur de bien des problèmes de santé.
Elle sait que la raison pour laquelle les gens prennent rendez-vous n’est souvent que la pointe de l’iceberg.
« Je commence toujours par demander : “Qu’est-ce qui vous amène ici aujourd’hui, et comment puis je vous aider?” » explique t elle.
Elle prend le temps d’écouter les gens, qu’il s’agisse d’un parent qu’elle rencontre dans le cadre du programme de visites à domicile pour le bien être des bébés, qu’elle a lancé, ou d’un adolescent qu’elle vaccine contre la COVID 19.
Un espace sûr
« Il y avait toujours ce sous-entendu que le fait d’être une Autochtone était un obstacle à l’accomplissement des objectifs qui m’ importaient. »
À son avis, la création d’un espace sûr pour les résidents des communautés où elle œuvre est une partie vitale de son travail.
L’essentiel est de prendre le temps d’écouter. L’écoute est un antidote à la « maladie de la précipitation » qui touche les professionnels de la santé, estime-t elle, quand l’objectif semble être de « faire entrer et sortir les gens aussi vite que possible ».
« Nous oublions l’essence même de ce que signifie s’arrêter et écouter leur histoire. Cette étape fait partie de l’établissement de la relation. Il s’agit vraiment d’ouvrir la porte. »
La démarche de Juliet Bullock consiste à laisser la voie libre aux gens pour qu’ils puissent exprimer leurs besoins réels, comme ce patient qui a demandé un pansement pour une coupure au doigt et qui est resté pour parler de la violence au sein de sa famille.
Cette petite coupure au doigt était un prétexte pour dire « J’ai besoin d’aide », illustre t elle.
La compréhension des racines de cette violence, ainsi que des problèmes de toxicomanie et de santé mentale qu’elle rencontre découle de sa propre expérience du racisme dont elle a été victime en tant que femme et infirmière autochtone du Nord.
Juliet Bullock avait sept ou huit ans lorsque sa chef Brownie à Inuvik a défait ses longs cheveux noirs, que sa mère Gwichy’a avait soigneusement tressés. La chef lui a expliqué qu’elle ressemblait « trop à une Indienne ».
Ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres du racisme qui a miné l’estime de soi de Juliet Bullock. Le même sentiment d’infériorité a teinté son expérience à Grollier Hall, qui, en 1997, a été l’un des derniers pensionnats autochtones du Canada à fermer ses portes.
Attitudes racistes
« On ne m’a jamais encouragée à poursuivre mes rêves », dit elle de son séjour au pensionnat, contrairement au soutien qu’elle recevait à la maison.
« Il y avait toujours ce sous-entendu que le fait d’être une Autochtone était un obstacle à l’accomplissement des objectifs qui m’ importaient. »
Juliet Bullock confie aussi avoir été victime de racisme et d’attitudes colonialistes de la part de dirigeants en soins infirmiers au cours de sa carrière professionnelle et universitaire.
Aujourd’hui âgée de 62 ans, elle se souvient de son évaluation à la fin du programme de certificat d’infirmière auxiliaire autorisée, son premier cours postsecondaire. Sa professeure s’est informée de ses plans.
Juliet Bullock lui a dit vouloir travailler pendant un certain temps, puis obtenir sa désignation d’infirmière autorisée.
« Elle m’a regardée et m’a dit : “Je ne pense pas que tu aies ce qu’il faut”, se souvient elle. J’ai répondu : “Je pourrais bien vous surprendre”. »
Juliet Bullock est devenue infirmière autorisée en 1994 et a terminé première de sa promotion lorsqu’elle a obtenu son diplôme de l’University College of the Caribou (maintenant l’Université Thompson Rivers). Trois ans plus tard, elle y a obtenu son baccalauréat en sciences infirmières.
Elle étudie actuellement en vue d’une maîtrise en leadership infirmier à l’Université de Victoria.
Malgré ces réalisations, Juliet Bullock a rencontré de la résistance à l’idée qu’elle pouvait réussir.
Préjudice admis
Dans les années 1990, elle s’est inscrite à un programme de mentorat dans le cadre d’un projet territorial de soins infirmiers. Sa gestionnaire la rabaissait, parlait en mal d’elle aux autres et se comportait de façon insensible et contraire à l’éthique envers les patients autochtones, raconte Juliet Bullock. Son expérience a été « gravement problématique », étant donné que la majorité des patients étaient autochtones.
Juliet Bullock a enregistré son entretien d’évaluation finale, et elle a mis l’infirmière gestionnaire devant le racisme dont elle faisait preuve.
« Je lui ai demandé : “Avez vous des préjugés?” », se souvient Juliet Bullock. « Elle m’a répondu : “Ouais”. J’étais estomaquée. J’ai encore cet enregistrement. »
Plutôt que de se laisser aller à l’amertume après ces expériences, Juliet Bullock a redoublé d’efforts pour renseigner ses collègues sur la sensibilité culturelle.
Elle transforme les incidents de racisme dont elle est témoin au travail en possibilités d’enseignement.
« Quand on se met en colère et qu’on opte pour la confrontation, on dresse tout de suite un mur. Ma démarche consiste plutôt à être transparente et à transmettre des idées sur le respect culturel », explique t elle.
Des suppositions dangereuses
Il y a sept ans, lorsqu’elle était infirmière de liaison autochtone dans un hôpital de la Colombie Britannique, Juliet Bullock a observé un Autochtone entrer en titubant au service des urgences.
Les autres membres du personnel infirmier ont supposé qu’il était intoxiqué et ont tenté de lui faire rebrousser chemin.
« Lorsque je me suis approchée du patient, j’ai constaté qu’il n’était pas sous l’emprise de l’alcool, mais qu’il faisait plutôt une crise d’épilepsie. Nous avons pu immédiatement l’emmener à la salle de traumatologie et lui fournir les soins nécessaires. »
Si Juliet Bullock n’avait pas été là, l’issue aurait pu être très grave, affirme-t elle.
Plus tard, elle a tenu une séance d’information avec les autres membres du personnel infirmier et s’est servie de l’incident pour leur enseigner les pratiques tenant compte des traumatismes.
Malheureusement, au Canada, ces récits ne sont que trop fréquents dans le système de soins de santé, estime Juliet Bullock. Elle cite en exemple le décès de Hugh Papik, un aîné inuit, en 2016.
L’homme de 68 ans avait subi un accident vasculaire cérébral, mais croyant qu’il était intoxiqué, le personnel de la résidence pour aînés et du centre de santé d’Aklavik avait refusé de le traiter. Une enquête du coroner avait par la suite recommandé une formation sur la sécurité culturelle pour tous les travailleurs de la santé des Territoires du Nord Ouest.
« Nous ne savons jamais quelles expériences les gens ont vécues, mais nous connaissons les effets dévastateurs des pensionnats. En tant que membres du personnel infirmier, nous devenons les gardiens de leur histoire, explique t elle. Dès qu’on le sait, le plan de soins change, de même que l’attitude. »
La démarche holistique de Juliet Bullock en matière de soins infirmiers répond aux besoins physiques, mentaux, émotionnels et spirituels de ses patients, soit les quatre aspects de la roue de la médecine.
Elle applique également ces soins à sa propre vie. Face au racisme, au découragement ou à ses propres limites physiques, elle a appris à prendre soin d’elle.
Puiser des forces
Elle fait de la marche, se ressource dans sa culture et consacre du temps à ses filles, Crystal et Wanaao, et à sa petite fille, Quinn.
Les filles de Juliet Bullock ont été sa source d’inspiration en 2009, lorsqu’elle a reçu un diagnostic de cancer de l’utérus. Pendant trois ans, elle a dû suspendre sa carrière d’infirmière pour subir des traitements de chimiothérapie et se battre pour se rétablir.
Trouver sa force auprès de femmes puissantes est une leçon que Juliet Bullock a apprise de ses mentors, notamment l’ancienne commissaire aux langues des Territoires du Nord Ouest, Sarah Jerome, une aînée de la nation Teetl’it Gwich’in d’Inuvik.
« Elle m’a appris, grâce à son parcours personnel et à son expérience, que peu importe ce qui est arrivé dans le passé, on peut s’en servir de façon très positive pour évoluer et devenir la personne que l’on veut être », souligne Juliet Bullock.
Survivre au cancer a révélé à Juliet Bullock des forces qu’elle ne se connaissait pas. Cette expérience lui a aussi donné le courage de réaliser son rêve de retourner dans le Nord en acceptant un poste en santé publique au sein du gouvernement du Nunavut.
Aujourd’hui, elle espère qu’en racontant son parcours, elle aidera des infirmières et infirmiers autochtones en début de carrière.
« Osez réaliser vos rêves. Tout le monde rencontre des obstacles. Ce qui compte, c’est la façon positive dont on les surmonte. »
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville, en Nouvelle-Écosse.
#santécommunautaire#soinsàdomicile#autochtones#collaborationinterprofessionnelle#intra-professional-collaboration
#relationpersonnelinfirmier-patients#profils#covid-19