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mai 12, 2021, Par: Laura Eggertson
L’urgence où travaille Jean Harsch accueille chaque jour des patients gravement malades en raison de la COVID‑19. Et chaque jour, cette infirmière chevronnée d’Edmonton s’inquiète de ne pas être assez rapide pour s’occuper d’eux.
Elle craint que les secondes supplémentaires qu’il lui faut pour enfiler l’équipement de protection individuelle (ÉPI) que la pandémie exige ne coûtent un jour la vie à un de ses patients.
Avant la COVID, lorsqu’un code d’urgence réclamait le personnel dans la salle d’attente de l’hôpital communautaire Grey Nuns où elle est infirmière clinicienne enseignante, Jean Harsch sortait en courant de son bureau pour aller retrouver l’équipe de réanimation.
L’appel signifie qu’une personne s’est évanouie, a cessé de respirer ou que son cœur s’est arrêté.
Maintenant, lorsque Jean Harsch entend le code, elle se prépare.
Elle s’arrête pour enfiler sa tenue de protection : blouse, lunettes et gants.
Depuis le début de la pandémie, le personnel infirmier et les médecins peuvent entreprendre les compressions thoraciques, mais pas la respiration de sauvetage. Ils ne peuvent désormais plus grimper sur une civière pour commencer la respiration, qui les exposerait à une contamination potentielle par les gouttelettes du patient.
Ils doivent maintenant interrompre les compressions et la respiration pendant qu’ils transfèrent le patient sur une civière pour l’emmener à la hâte dans une chambre avec quatre murs et une porte. La réanimation cardio‑respiratoire (RCR) est reprise dès que chaque intervenant présent a son masque N95 en place.
Parce que le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS‑Co‑V‑2) peut être transmissible par l’air, le fait de commencer la RCR sans être dans un espace sûr ou sans équipement de protection complet met tout le monde en péril, explique Jean Harsch, présidente sortante de l’Association nationale des infirmières et infirmiers d’urgence (ANIIU).
Une situation qui cloche
Elle soutient de tout cœur le protocole de la COVID‑19. Mais elle ne le ressent pas comme dans l’ordre des choses.
« C’est brutal de voir une personne dans le besoin allongée sur le sol et de savoir qu’on ne peut pas la toucher avant d’avoir revêtu l’ÉPI au complet », déclare Jean Harsch, qui travaille comme infirmière urgentiste à l’hôpital communautaire depuis 13 ans.
« C’est un changement de culture complet pour nous tous. »
Jean Harsch croit qu’elle et ses collègues agissent assez vite pour que ces retards ne mettent pas de vies en danger.
Pourtant, elle s’inquiète que ses patients ou leurs proches craignent d’obtenir des soins trop tard.
Le rôle de Jean Harsch en tant qu’infirmière enseignante est de former le personnel aux interventions et aux aptitudes d’urgence, notamment en les certifiant en soins avancés en réanimation cardiovasculaire (SARC) et en interprétation de l’arythmie détectée par l’électrocardiogramme (ECG), ainsi que des ECG en 12 électrodes.
Investir dans le personnel infirmier
Avant la COVID, Jean Harsch organisait des journées de formation trimestrielles pour le personnel infirmier, où même les infirmières ou infirmiers en pause pouvaient s’arrêter pour entendre un conférencier. Elle préparait le déjeuner et le dîner pendant la formation.
« Cette initiative est en grande partie pour leur montrer qu’ils sont appréciés, que j’investis en eux », ajoute‑t‑elle.
Pendant la COVID, Jean Harsch et l’autre infirmière enseignante avec qui elle travaille ont annulé ces journées de formation. Elles orientent les nouveaux employés, mais seulement en petits groupes. Elles portent leur ÉPI complet pendant les formations.
Le taux d’anxiété est élevé chez le personnel infirmier et chez l’ensemble du personnel hospitalier du pays.
Elles ne peuvent former que six de leurs 200 infirmières et infirmiers à la fois.
« On a l’impression que ce n’est qu’une toute petite goutte d’eau dans l’océan », regrette Jean Harsch.
« Affecter des employés à des unités critiques avant qu’ils ne soient entièrement formés pèse lourdement sur ma collègue et moi. On s’inquiète qu’ils se sentent mal préparés. »
« Le taux d’anxiété est élevé chez le personnel infirmier et chez l’ensemble du personnel hospitalier du pays, souligne Harsch, et de nombreux infirmiers et infirmières sont épuisés. » Certains optent pour des spécialités différentes, alors que d’autres, y compris dans son propre service, abandonnent entièrement la pratique infirmière.
Non seulement leur charge de travail augmente, mais les infirmières et infirmiers doivent assurer l’éducation de leurs enfants à la maison et s’occuper de membres malades de leur famille.
Et ils absorbent la détresse des patients.
Au début de la pandémie, une collègue de Jean Harsch lui a déclaré que lorsqu’elle entrait dans la chambre d’un patient qui avait reçu un diagnostic positif de la COVID, celui-ci lui mentionnait qu’elle était la première personne à entrer dans sa chambre. Tous les autres demeuraient dans l’embrasure de la porte pour lui parler.
Jean Harsch avoue que le fait d’entendre les patients parler de leur sentiment d’isolement était dévastateur.
Au fur et à mesure que la pandémie s’installe, nombreux sont les membres du personnel infirmier qui se sont adaptés aux nouvelles habitudes. Ils enfilent plus rapidement l’ÉPI, ils passent plus de temps dans les chambres et restent moins souvent sur le seuil pour leur parler. Certains employés, y compris Jean Harsch, sont désormais vaccinés contre la COVID.
« On ressent un sentiment de grand soulagement, confie-t-elle. C’est un espoir prudent, car … nous croyons que ça changera la donne, mais la distanciation sociale, l’ÉPI, tout ça est toujours en vigueur. »
Le personnel infirmier lutte pour garder le dessus parce que les services d’urgence se remplissent de patients de plus en plus malades, non seulement à cause de la COVID, mais aussi parce qu’ils ont tardé à se faire soigner de crainte de contracter le virus, explique Jean Harsch.
Les patients arrivent en arrêt cardiaque total ou avec des infections qui ont mené à une septicémie. On traite de plus en plus de gens en surdose d’opioïdes, qui ont tenté de se suicider ou qui éprouvent d’autres urgences de maladie mentale, poursuit-elle.
La gravité de l’état des patients met encore plus à l’épreuve le personnel des urgences.
Un soutien accru
À l’hôpital, Jean Harsch redouble d’efforts pour assurer le soutien émotionnel, qui a toujours fait partie de son travail.
Elle ne peut plus se tenir aux côtés d’une infirmière qui supervise une équipe de réanimation pour la première fois et la guider dans le processus. Elle attend plutôt à l’extérieur de la salle de réanimation et répond aux questions.
Elle ne peut plus poser sa main sur l’épaule d’une collègue qui a traversé un mauvais quart de travail, ni prendre dans ses bras ses collègues, ses patients ou les proches de ceux qui sont décédés.
« Ce sont des gestes qu’il est difficile de ne plus poser. C’est un deuil énorme. », avoue-t-elle.
À l’hôpital, Jean Harsch redouble d’efforts pour assurer le soutien émotionnel, qui a toujours fait partie de son travail.
Mais Jean Harsch a trouvé d’autres moyens de communiquer son soutien.
Elle passe plus de temps à se promener dans le service, à vérifier l’état mental et émotionnel du personnel infirmier. Elle pose des questions plus ciblées, non seulement sur le déroulement de leur quart de travail, mais aussi sur leur vie. Elle se rend disponible pour ceux qui lui envoient des messages privés et qui ont besoin de se confier.
Jean Harsch aime depuis longtemps ce qu’elle appelle l’atmosphère « de chaos organisé » qui règne aux urgences et qui contraste fortement avec le début de sa carrière d’infirmière en soins intensifs, où les patients avaient déjà reçu un diagnostic et y étaient traités.
Elle reconnaît, toutefois, que l’intensité du travail aux urgences est éprouvante sur le plan émotionnel, surtout en cette période d’isolement.
C’est pourquoi elle laisse des cartes‑cadeaux au poste de triage, ou dans le plateau contenant le matériel d’intervention d’urgence, accompagnées de notes du genre : « Vous avez passé un mauvais quart? Commandez-vous un café à nos frais. »
« Les infirmières ou infirmiers ont besoin de parler, souligne Jean Harsch. J’ai l’impression que notre rôle, en tant qu’infirmières cliniciennes enseignantes au sein du service, s’est intensifié. Il n’y a pas de solution à ce que nous vivons, il s’agit simplement de faire sortir la vapeur. »
Se vider le cœur, ça soulage
Jean Harsch trouve une bonne oreille auprès de son conjoint, Terry Harsch, un pasteur, et de ses trois filles adultes.
« Je dois dire que je suis devenue une bonne pleureuse! C’est un merveilleux exutoire. Mon conjoint est très à l’écoute », affirme-t-elle.
Bien qu’ils ne puissent plus voir leurs filles et leurs petits‑enfants que par Zoom, les Harsch se réunissent toujours avec la famille élargie. Ils se téléphonent chaque semaine. Récemment, ils ont joué à un jeu d’évasion sur Zoom pour l’anniversaire d’une de leurs filles.
« C’était génial! » se réjouit-elle.
Jean Harsch trouve l’isolement difficile. Pour réduire le stress, elle a démissionné de son poste de présidente de l’ANIIU avant la fin de son mandat en août.
« C’était trop de jongler entre ce poste et mon propre personnel. J’ai pris la décision que si je devais rester éveillée la nuit, je le ferais en pensant à mes employés et à ce que je fais pour eux ».
Jean Harsch s’adonne également à la courtepointe, à la couture, à la création de cartes et à la pratique du piano et de la guitare, autant d’activités créatives qui lui remontent le moral.
Lorsque c’est possible, le vélo et la moto l’aident également à rester positive.
Jean Harsch essaie de se concentrer sur ce qu’elle peut faire pendant la pandémie plutôt que sur ce qu’elle ne peut pas faire. Elle aime encourager les autres à adopter la même attitude.
« Ce qui me donne de l’espoir, c’est d’observer les gens découvrir leurs aptitudes », s’exclame-t-elle.
Laura Eggertson est journaliste indépendante à Wolfville (N.-É.).
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