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Documentation électronique : une passerelle vers l’informatique infirmière?

  
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juin 22, 2020, Par: Lorraine Betts, Sai Vemulakonda
a nurse looking at an Apple iPad for work
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L’un des avantages de la documentation électronique et des DES est qu’ils permettent au personnel infirmier d’apprendre une terminologie infirmière normalisée grâce à laquelle il peut consigner des éléments fondamentaux des soins au dossier électronique.

Messages à retenir :

  • Le personnel infirmier doit maîtriser les outils technologiques et les systèmes de gestion de l’information pour offrir des soins de grande qualité.
  • Une formation sur la documentation électronique et les dossiers de santé électroniques pourrait être une passerelle vers l’informatique infirmière.
  • Une expérience de la documentation et des dossiers de santé électroniques aident le personnel infirmier à acquérir tout un ensemble de compétences technologiques en gestion de l’information et en informatique.

De nos jours, les soins de santé deviennent de plus en plus complexes à mesure que les hôpitaux adoptent des technologies pour aider le personnel de soins, y compris le personnel infirmier, à fournir aux patients des soins de grande qualité. Comme l’indiquent Anderberg Björling, Stjernberg et Bohman (2019), une déclaration commune de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC) et de l’Association canadienne de l’informatique infirmière (ACII) fait valoir que « les milieux de services numériquement connectés sont des outils essentiels pour renforcer le pouvoir d’action des infirmières et infirmiers dans la prestation de leurs soins » [traduction] . L’Institute of Medicine (IOM), un important groupe de réflexion sur les soins de santé, soulignait il y a déjà 10 ans qu’avec l’élargissement de leurs rôles, les infirmières et infirmiers devront maîtriser les outils technologiques et les systèmes de gestion de l’information (IOM, 2010).

En outre, l’énoncé de position conjoint de l’AIIC et de l’ACII indique que « Le personnel infirmier doit perfectionner ses connaissances en informatique infirmière pour veiller à exercer et à aiguiser sa pensée critique dans des milieux complexes qui s’en remettent aux technologies de l’information et de la communication (TIC). »

Qu’est-ce que l’informatique?

« Informatique » est un terme général qui inclut les compétences en informatique, la culture de l’information et la gestion de l’information. Le terme inclut de nombreuses autres compétences, dont les compétences de base sur un ordinateur ainsi que la capacité de s’y retrouver dans des systèmes, de chercher, récupérer et évaluer des informations et de documenter les interventions infirmières et les résultats pour les patients.

L’intégration des TIC dans la pratique infirmière modifie les communications et les relations entre le personnel infirmier et ses patients ainsi que les conditions de travail et les identités professionnelles des infirmières et infirmiers.

Les TIC ayant une telle portée sur notre pratique, que fait-on pendant les études pour préparer le personnel infirmier pour ce monde du travail, 10 ans après l’appel de l’Institute of Medicine à l’adoption de l’informatique par le personnel infirmier?

Il y a eu des avancées, mais il existe encore un fossé regrettable entre les besoins du milieu actuel des soins de santé et les études infirmières : beaucoup de programmes d’études n’incluent pas de formation formelle en informatique malgré les recommandations de diverses organisations infirmières (ACII, 2002; AIIC, 2006).

Combler le fossé

À ce jour, seules quelques écoles canadiennes agréées de sciences infirmières sont parvenues à intégrer officiellement l’informatique à la structure de leurs programmes. En 2007, Lynn Nagle, spécialiste canadienne en informatique infirmière, a montré, dans une étude portant sur 79 écoles de sciences infirmières, que moins de 40 % d’entre elles avaient intégré l’informatique à leur programme (Nagle, 2007). En 2018, quand Mme Nagle s’est à nouveau penchée sur la question des écoles de sciences infirmières au Canada, elle a constaté que des lacunes persistaient par rapport au « niveau souhaité de connaissances et d’enseignement de l’informatique infirmière et de l’informatique en santé, tant au sein des enseignants que des administrateurs qui élaborent les programmes d’études en sciences infirmières » [traduction] (Nagle, Kleib et Furlong, 2018).

Selon Anderberg, Björling, Stjernberg et Bohman (2019), « tant les compétences informatiques générales et spécifiques qu’une culture de l’information au sein de la formation et de la profession infirmière sont nécessaires » [traduction] (p. 3), ce qui laisse entendre que les programmes de sciences infirmières doivent changer pour préparer les infirmières et infirmiers de demain au travail qui les attend.

Si nous sommes en retard dans l’intégration de l’informatique infirmière aux programmes d’études, de nombreux groupes s’activent pour faire progresser l’informatique. Aux États-Unis, l’équipe de l’initiative Technology Informatics Guiding Education Reform (TIGER), lancée en 2004, pousse pour l’avancement des compétences en informatique infirmière dans les programmes d’études en diffusant des mesures spécifiques pour améliorer la formation du personnel infirmier au moyen des technologies de l’information sur la santé.

Il y a eu des avancées, mais il existe encore un fossé regrettable entre les besoins du milieu actuel des soins de santé et les études infirmières…

Au Canada, le Digital Health Interest Group s’est constitué assez récemment au sein de l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (ACESI). En 2012, cette dernière a apporté son soutien, au niveau national, à un ensemble de compétences en informatique infirmière pour l’admission à la profession. L’Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario (RNAO) a publié une déclaration où elle indique que « les membres du corps professoral en sciences infirmières désignés pour offrir une formation orientée vers la pratique doivent pouvoir utiliser les technologies d’enseignement » [traduction] (2016, p. 30).

Quand tant d’organisations en appellent à l’intégration de l’informatique aux programmes d’études, pourquoi la formation ne progresse-t-elle pas plus vite? L’une des raisons pourrait être le fait que les programmes d’études sont déjà surchargés. Comment y trouver du temps pour l’informatique?

Une autre raison est que la notion d’informatique est générale; le corps professoral a donc du mal à savoir par où commencer. Il se pourrait aussi qu’intégrer l’ensemble des compétences en informatique semble insurmontable aux enseignants qui n’ont jamais utilisé l’informatique dans leur pratique.

Documentation électronique

C’est ici que la théorie du changement pourrait être utile : il est possible de commencer par un petit pas. Une option serait de commencer par les compétences essentielles en informatique, comme la documentation électronique, et réussir cette première étape.

La documentation électronique ou le dossier de santé électronique est la norme dans de plus en plus d’établissements et elle devient un outil essentiel pour assurer des soins de qualité en toute sûreté (Agency for Healthcare Research and Quality, 2018). La documentation électronique inclut des compétences comme l’entrée et l’extraction de données électroniques pour la préparation de plans de soins, la planification des soins et de l’enseignement aux patients et la planification de leur congé. Ce type de documentation devient rapidement une compétence majeure pour la pratique.

Quand les étudiants s’exercent à la documentation électronique, ils acquièrent tout un ensemble de compétences en TIC. Ils découvrent les dossiers de santé électroniques (DSE), utiles au personnel infirmier et par conséquent aux patients, à plus d’un titre (Hoover, 2016; Kelley, Brandon et Docherty, 2011). L’un des grands avantages est que les infirmières et infirmiers peuvent rapidement trouver des informations à jour à l’endroit même où ils assurent les soins; certains auteurs avancent que les données qu’obtient le personnel infirmier dans les DSE sont équivalentes à ce qu’il obtiendrait en assistant aux réunions multidisciplinaires.

Les infirmières et infirmiers peuvent plus facilement coordonner les soins avec les autres membres de l’équipe de soins, réduire le nombre d’erreurs de médication, être informés d’allergies potentiellement mortelles et repérer rapidement les anomalies dans les résultats d’analyses de laboratoire. L’un des avantages de la documentation électronique et des DES est qu’ils permettent au personnel infirmier d’apprendre une terminologie infirmière normalisée grâce à laquelle il peut consigner des éléments fondamentaux des soins au dossier électronique.

Comment les éducateurs pourraient-ils intégrer la documentation électronique aux programmes d’études? L’une des façons est de l’incorporer à l’ensemble du programme. Les cours de théorie infirmière doivent d’abord examiner les principes et pratiques de documentation et la fonction et le rôle du DES ainsi que son lien avec l’évaluation du patient et la planification des soins.

Les étudiants reçoivent ensuite une introduction au système, et la documentation électronique fait régulièrement partie des exercices pratiques dans le cadre des simulations, ce qui permet aux étudiants de se familiariser avec les DES. Pour finir, les étudiants appliquent ce savoir en l’adaptant lorsqu’ils reçoivent une formation initiale et exercent en milieu clinique.

Mise en place du DES dans le centre de simulation d’un collège communautaire

De plus en plus d’hôpitaux de notre région mettaient en place le DES, ce qui a motivé nos professeurs de sciences infirmières à adopter le DES au centre de simulation. Nous pouvions ainsi préparer les étudiants à la pratique clinique sans attendre la révision plus vaste et compliquée du programme, qui serait nécessaire pour intégrer l’informatique infirmière au programme offert sur plusieurs campus.

  • Au centre de simulation, nous avons utilisé un dossier de santé électronique à code source libre. OpenEMR est un exemple de logiciel de gestion de la pratique médicale qui peut être téléchargé et utilisé gratuitement (https://www.open-emr.org).
  • Après avoir adapté le produit à nos besoins, nous l’avons téléchargé sur Internet pour le mettre à la disposition des étudiants et des membres du corps professoral. Nous avons créé un guide de l’utilisateur et avons offert aux usagers des séances d’initiation en personne.
  • Nous avons chargé des dossiers de clients simulés sur un ordinateur portable et organisé une séance de simulation où l’on assignait un « patient » (un mannequin) aux étudiants. Les étudiants devaient noter les signes vitaux, indiquer les médicaments administrés dans le registre d’administration des médicaments et consigner les soins administrés au « patient ».
  • Résultats : les étudiants et les membres du corps professoral ont pu voir les avantages du DES, mais nous avons rencontré certains obstacles et tiré plusieurs enseignements de l’expérience.
… [les étudiants] étaient enthousiastes à l’idée d’utiliser le DES en classe et dans les simulations.

Enseignements tirés

  • Le système doit être convivial. Il faut donc investir assez d’argent pour modifier le logiciel selon les besoins, pour le rendre convivial; c’est une étape essentielle.
  • Il faut entretenir de bons rapports avec le fournisseur pour qu’il offre une aide nécessaire pour apporter les modifications et fournisse un soutien technique par un tiers.
  • Les étudiants et les membres du corps professoral ont besoin d’une formation initiale robuste sur la théorie qui sous-tend le DES et amplement de temps pour s’exercer à utiliser le DES avant les simulations.
  • Il faut gérer les attentes : les étudiants et les membres du corps professoral clinique doivent être prévenus que chaque établissement utilise un système différent. Le DES du centre de simulation ne sera pas identique à celui qu’ils utiliseront quand ils commenceront à exercer.

Cette expérience d’intégration au moyen de la documentation électronique et le contact, ensuite, avec le dossier de santé électronique, ont aidé à renforcer les compétences en TIC des étudiants malgré l’absence de cours formel en informatique infirmière et leur ouvre la voie pour renforcer leurs compétences dans ce domaine. Cette conclusion est appuyée par Chung et Cho (2017), qui ont réalisé une étude pour comprendre l’incidence et la valeur de la documentation et autres utilisations du DES. Leurs conclusions laissent envisager que la documentation électronique au moyen d’un DES contribue à préparer les étudiants à la technologie de l’information et améliore leurs capacités de résolution de problèmes et de pensée critique.

Les étudiants apprécient la documentation électronique; Mountain, Redd, O’Leary-Kelly et Giles (2015) ont remarqué qu’ils étaient enthousiastes à l’idée d’utiliser le DES en classe et dans les simulations.

Si la documentation électronique peut s’avérer pratique pour faire entrer l’informatique dans le programme d’études, notre expérience nous a enseigné que le succès dépend de plusieurs facteurs :

  • Un soutien financier adéquat est essentiel; enseigner l’utilisation de cette technologie coûte cher.
  • Le DES adopté doit être convivial et accompagné d’un soutien prompt et continu par le fournisseur.
  • Les membres du corps professoral en sciences infirmières doivent être compétents en matière de documentation électronique et bien savoir utiliser le DES. Il faudra donc un soutien vigoureux de l’administration pour que le programme de perfectionnement professionnel des enseignants et le programme d’études puissent être prêts à temps .
  • Enfin, trop souvent, les étudiants et les membres du corps professoral doivent utiliser en milieu clinique un type de DES différent de celui qu’ils utilisaient à l’école. Les étudiants doivent y être préparés. Ils auront aussi besoin d’une formation initiale solide et d’évaluations régulières du cycle apprentissage-pratique.

Conclusion

De nombreuses études ont montré que les compétences informatiques et connexes sont déterminantes pour la réussite du personnel infirmier dans les milieux de soins actuels. Il existe cependant un fossé entre les compétences dans la pratique et les résultats obtenus pendant les études.

Le personnel infirmier pourra mieux acquérir des qualifications et des compétences en TIC si on lui donne l’occasion de s’exercer à la documentation électronique dans le contexte de DES intégrés aux activités d’enseignement et d’apprentissage dans leurs divers cours. Avec un financement suffisant pour garantir une expérience conviviale et une formation initiale pour les membres du corps professoral et les étudiants, le DES peut constituer un premier accès utile à l’informatique dans les programmes d’études infirmières.

Références

Agency for Healthcare Research and Quality. Use of Electronic Health Records, 2018, Rockville (MD).

Anderberg, P., Björling, G., Stjernberg, L. et D. Bohman. Analyzing nursing students’ relation to electronic health and technology as individuals and students and in their future career (the eNursEd Study): Protocol for a longitudinal study, JMIR Research Protocols8(10), 2019, p. e14643. doi:10.2196/14643

Association canadienne de l’informatique infirmière (ACII). Educating tomorrow’s nurses: Where’s nursing informatics? Ottawa : Auteur, 2002.

Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC). Énoncé de position : L’information infirmière et la gestion du savoir, 2006.

Association des infirmières et des infirmiers du Canada (AIIC). Énoncé de position commun : Informatique infirmière, 2017.

Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario (RNAO). (2016). Practice Education in Nursing, 2016, Toronto (ON), Association des infirmières et infirmiers autorisés de l’Ontario.

Chung, J. et I. Cho. The need for academic electronic health record systems in nurse education, Nurse Education Today54, 2017, p. 83-88. doi:10.1016/j.nedt.2017.04.018

Hoover, R. Benefits of using an electronic health record, Nursing, 46(7), 2016, p. 21-22. doi:10.1097/01.nurse.0000484036.85939.06

Institute of Medicine. The Future of nursing: Leading Change, Advancing Health Report Brief, octobre 2010

Kelley, T. F., D. H. Brandon, et S. L. Docherty. Electronic nursing documentation as a strategy to improve quality of patient care, Journal of Nursing Scholarship, 43(2), 2011, p. 154-62. doi:10.111/j.1547-5069.2011.01397.x

Mountain, C., Redd, R., O’Leary-Kelly, C. et K. Giles. Electronic medical record in the simulation hospital: Does it improve accuracy in charting vital signs, intake, and output? Computers, Informatics, Nursing33(4), 2015, p. 166-171.

Nagle, L. M. Everything I know about informatics, I didn’t learn in nursing school, Nursing Leadership20(3), 2007, p. 22-25. doi:10.12927/cjnl.2007.19285

Nagle, L., Kleib, M., et K. Furlong. Étude sur l’intégration de la santé numérique par les écoles de sciences infirmières canadiennes : Contenu des programmes d’études et capacité des infirmières enseignantes, Association canadienne des écoles de sciences infirmières, 2018.


Lorraine Betts, inf. aut., M. Sc.inf., CHSE est professeure et formatrice-coordinatrice, simulation, à l’École de sciences infirmières Sally Horsfall Eaton du Collège George Brown à Toronto, en Ontario. Elle s’intéresse entre autres à l’enseignement par la simulation en sciences infirmières, y compris la simulation virtuelle et la recherche dans le domaine de l’enseignement par la simulation. Pour plus de renseignements sur ce projet, vous pouvez contacter Lorraine Betts par courriel à : lbetts@georgebrown.ca.

Sai Vemulakonda, B.Eng., M.B.A., M.Sc., CHITM, enseigne actuellement à l’École de sciences infirmières Sally Horsfall Eaton du Collège George Brown à Toronto, en Ontario. Sai enseigne les mathématiques et les technologies de l’information depuis 20 ans, et ses recherches portent sur les domaines de l’informatique en santé et en soins infirmiers.


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