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La souffrance, mère de l’humilité

  
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juin 24, 2019, Par: Lauren Cavanagh
a nurse looking after a patient in a hospital bed
iStock.com/mustafagull

Enseignements tirés

  • Les moments les plus durs, pour les professionnels des soins infirmiers, sont souvent les moments les plus riches en apprentissages.
  • La profession infirmière, pleine de défis, est aussi gratifiante quand on trouve des façons de composer avec l’éventail d’émotions inhérentes à l’expérience humaine.
  • Être vulnérable face à ses émotions est parfois difficile, mais c’est sain aussi.

Il y a des jours où j’aime mon travail parce qu’il m’emplit de joie. Des jours où je finis mon quart en pleine euphorie. Ces jours-là, vous les connaissez.

En pleine euphorie parce qu’un patient a appris qu’il était en rémission.

Ou parce qu’une patiente a été autorisée à rentrer chez elle pour le week-end pour voir ses chiens, prendre un bain chaud et dormir dans son lit à côté de son mari.

Où le petit-fils nouveau-né d’un patient vient le voir pour la première fois.

Où une de vos patientes préférées revient pour sa greffe, ce qui signifie que ça se passe bien pour elle.

La joie est si agréable.

Plus souvent, cependant, mes journées au travail sont remplies de sentiments qui ne ressemblent en rien à la joie. Le plus souvent, elles sont pleines d’émotions douloureuses, épuisantes et brutales. Ces jours-là, vous les connaissez.

Comme le jour où, en arrivant, j’ai découvert le nom d’une amie parmi ceux des patients sur le panneau de répartition des tâches.

Le jour où on a dit à un garçon de 18 ans qu’il manquerait sa remise des diplômes du secondaire parce qu’il devait commencer une chimio.

Ou le jour où ce même garçon de 18 ans n’a pas pu donner son sperme avant que son traitement ne commence et s’est fait dire qu’il risquait de ne pas pouvoir avoir d’enfants plus tard.

Le jour où nous avons envoyé un jeune père aux soins intensifs sous les yeux de sa femme.

Le jour où j’ai vu un père porter des gants pour tenir la main de sa fille parce qu’il respectait les précautions pour sa chimio. Il ne comprenait pas pourquoi il ne devait pas la toucher parce que sa transpiration contenait les toxines de son traitement.

Où une patiente a soudain perdu connaissance, une alerte a été lancée et, pendant que l’équipe s’occupait d’elle, sa fille hurlait dans le couloir. Elle était sortie deux minutes et ne comprenait pas ce qui avait pu se passer pendant qu’elle était allée chercher un verre d’eau.

Où on regarde dans les yeux d’un proche après qu’il a passé des nuits et des nuits au chevet du patient, sans arriver à dormir sur le lit pliant inconfortable et bruyant, et tout ce que l’on voit dans son regard, c’est l’épuisement et la peur.

Les jours qui font mal font très mal. Mais honnêtement, ils m’apprennent beaucoup plus que ne pourront jamais le faire les jours heureux. La souffrance est source d’humilité, et ses enseignements sont forts.

Nous ne sommes pas invincibles. Vous ou moi pourrions nous retrouver dans ce lit d’hôpital n’importe quand. Parfois, ces maladies semblent sorties de nulle part. Tel patient avait une toux persistante. Tel autre se sentait un peu fatigué les dernières semaines. Une analyse de sang bien ordinaire a montré une anomalie. La patiente n’était pas « en forme ». Et la voici en oncologie. Rien n’empêche que ce soit vous ou moi. Ce n’est pas parce que nous comprenons ce qui se passe, pas parce que nous connaissons les maladies, les médicaments et les statistiques, que nous ne ferons pas partie des statistiques. Être infirmier ou infirmière ne nous affranchit pas de notre condition humaine.

Nous ne pouvons pas avoir toutes les réponses. Nous ne les aurons jamais. On peut lire le plus d’articles de revues possible (croyez-moi, je le fais!). On peut avoir eu les meilleures notes pendant ses études infirmières, être capable de comprendre tous les relevés d’ECG et d’interpréter tous les chiffres des bilans sanguins, mais on ne peut pas tout savoir. Surtout dans ce domaine. Après neuf mois dans la même unité, j’ai à peine gratté la surface de l’hématologie/oncologie. Il me faudrait toute une vie et même plus pour apprendre tout ce que je veux apprendre. Et même si on avait, par je ne sais quel miracle, toutes les réponses techniques, comment pourrait-on jamais répondre à une patiente qui demande « pourquoi moi? ». Ce qui nous amène à la leçon suivante…

La vie n’est pas juste. Si vous pensiez qu’elle pourrait l’être, votre réveil risque d’être brutal. Peu importe que vous soyez un modèle de gentillesse, que vous recycliez, que vous couriez 5 km par jour, que vous veniez de vous marier, que vous donniez de votre temps à un refuge pour les animaux ou que vous ayez consacré toute votre vie à bâtir un monde meilleur autour de vous. Peu importe que vous soyez nouvelle maman, grand-père, sœur ou frère, que vous ayez 12, 22, ou 102 ans. Peu importe que vous ayez déjà eu un cancer et que vous lui ayez botté le derrière. Le fait est que si vous avez un cancer aujourd’hui, c’est peut-être à cause du traitement de votre cancer antérieur. Pouvez-vous imaginer plus grande injustice? Comment apaiser la douleur causée par la simple injustice de la vie?

Alors que faire, quand on réalise que l’on n’est pas invincible, que l’on n’a pas toutes les réponses et que la vie n’est pas juste? Que faire, quand on enchaîne les quarts de travail douloureux? Que faire alors?

Puisque nous sommes humains, je crois que nous devons accepter que ça fasse mal. Car nous sommes juste humains après tout. Je suis en train d’apprendre que m’autoriser à ressentir cette douleur est extraordinaire. Ce n’est pas agréable, évidemment. Mais c’est profond. Ça m’amène à m’interroger : qu’est-ce qui se passe quand on étouffe toute cette douleur? Est-ce que cela contribue à l’épuisement professionnel? Est-ce que ça rend irritable à la maison? Est-ce qu’on se défoule alors sur les collègues? Je ne serais pas surprise que la réponse à toutes ces questions soit oui.

Il faut bien que toute cette émotion sorte d’une façon ou d’une autre. Alors, comme être humain, je la laisse exister. Je la ressens. Je reconnais qu’elle est là. Et, comme infirmière, j’essaye de la laisser baigner ma pratique. Pour moi, elle prend la forme d’empathie, d’humilité et de gentillesse dans les gestes les plus simples.

J’ai pleuré avec des patients. Je leur ai tenu les mains quelques minutes de plus, même si j’avais d’autres choses à faire. J’ai préparé un gâteau au citron pour un patient qui n’avait que la peau sur les os, quand il a dit qu’il avait enfin de l’appétit. J’ai avoué à mes patients que je n’avais pas de réponse à leurs questions. Je sais que tout cela ne suffit pas à repousser la douleur, mais quand on s’autorise à ressentir la souffrance, je crois que ça permet de mieux comprendre ce qui peut la soulager un petit peu.

En fin de compte, comme infirmières et infirmiers, n’est-ce pas là notre fonction?


Lauren Cavanagh a commencé sa carrière d’infirmière autorisée en 2017. La première année, elle a travaillé dans une unité de soins en hématologie et oncologie médicale avant de passer, récemment, en santé sexuelle.

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