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Deux étudiants en sciences infirmières lancent un projet de réduction des méfaits qui cible les comportements à risque aux raves de la scène musicale parallèle de Winnipeg.
Feb 07, 2018, Par: Bryce Koch, inf. aut. , Joseph Keilty, inf. aut.
Project Safe Audience est une action de réduction des méfaits menée auprès des participants aux raves de Winnipeg, à l’initiative de deux étudiants en sciences infirmières. Les raves sont des fêtes qui se poursuivent tard dans la nuit au son de musique techno à haute teneur en décibels.
Des années durant, Bryce Koch a couru les raves à travers le Canada. Un jour, ce passionné de musique a réalisé que les pratiques de réduction des méfaits y faisaient cruellement défaut; les gens y consommaient de grosses quantités de substances illégales, adoptaient des comportements sexuels à risque et ne portaient pas de protection auditive. Avec l’aide d’un autre étudiant en sciences infirmières, Joseph Keilty, il s’est attelé à la création d’un environnement plus sûr pour les raveurs en mettant à leur disposition des informations et du matériel axés sur la réduction des méfaits.
M. Koch souhaitait mettre à profit l’expérience acquise en 2016 dans le cadre de son bénévolat dans la tente médicale du Shambhala Music Festival. L’un des plus grands festivals de musique techno du Canada, le Shambhala se targue d’avoir mis en place des mesures de réduction des méfaits. Les organisateurs fournissent de l’information sur les drogues, du matériel d’analyse de substance et un lieu sûr pour toute personne éprouvant des effets psychédéliques paniquants. Lorsqu’il y était bénévole, M. Koch a rencontré Layla Page, une infirmière autorisée membre de l’équipe médicale du Shambhala en 2015 et 2016. Elle a été sa mentore en matière de pratiques de réduction des méfaits et de prestation de soins de santé dans les raves.
L’idée du projet nous est venue lorsque nous (les auteurs) étions étudiants. Elle a germé de notre intérêt pour la promotion de la santé et la prévention de la maladie, et de notre reconnaissance que la communauté rave était vulnérable. Nous avions des liens avec deux organisations axées sur la réduction des méfaits : Main Street Project, un organisme sans but lucratif où nous avions fait notre stage en milieu communautaire, et Street Connections, un volet du programme de santé publique de l’Office régional de la santé de Winnipeg. Après s’être fait expliquer notre projet, ces organismes ont accepté de nous donner le matériel que nous souhaitions distribuer aux raves : préservatifs, lubrifiants, fiches d’information sur la consommation de drogues et bouchons d’oreille. Street Connections nous a formés pour l’administration de naloxone; nous savions que nous aurions besoin sur place de personnes capables de l’administrer.
Lors de notre premier rave, en septembre 2016, les services offerts par Project Safe Audience étaient sommaires. Comme nous fonctionnions sans ressources initiales, nous avons financé de notre poche l’achat de trousses de naloxone et de réserves de bouchons d’oreille et la production de fiches d’information sur les substances et sur les protections auditives. Avec l’accord de l’organisateur de l’événement, nous avons installé sur une table tout ce matériel gratuit. Pour interagir avec ce public d’environ 200 personnes, nous avons adopté une attitude ouverte et conviviale. Beaucoup, sous l’effet de drogues comme la MDMA, souhaitaient avoir un contact physique. Il nous fallait garder l’esprit ouvert tout en restant conscients de nos limites personnelles. Les participants aux raves s’expriment souvent en portant des vêtements multicolores ou en ne portant rien du tout. Nous ne devions pas oublier que nous étions là pour offrir un service, et non pour juger les tenues vestimentaires ou autres formes d’expression personnelle.
Beaucoup de gens ne portaient aucune protection auditive; ceux qui en avaient n’inséraient pas toujours leurs bouchons d’oreille correctement. Les bouchons que nous proposions étaient particulièrement appréciés, et notre réserve a vite été épuisée, mais nous étions contents des échanges propices à l’apprentissage, lorsque nous montrions la bonne façon d’utiliser les bouchons.
La façon la plus efficace d’encourager les participants à prendre un préservatif était d’engager la conversation. Tout en racontant notre projet à une personne, nous lui mentionnions que les préservatifs étaient gratuits et nous lui en offrions un directement. En général, les gens se sentaient plus à l’aise de le prendre une fois le contact établi.
Nos fiches d’information sur la protection auditive expliquent ce qui peut causer la perte auditive, les signes et les symptômes du problème, les méthodes pour réduire les risques et la manière d’utiliser les bouchons d’oreille. Les fiches sur les drogues dressent la liste des substances illégales couramment utilisées aux raves et donnent la classification des drogues, en détaillant chaque fois les effets, la dose normale et le risque de dépendance.
Nous avons accepté l’aide d’autres étudiants en sciences infirmières et de quelques participants, et nous avons recruté un criminologue formé à l’analyse de substances à l’aide d’un réactif. Grâce à ce renfort ajouté à notre groupe, désormais composé de trois étudiants et une étudiante en sciences infirmières, nous pouvions offrir des services d’analyse de substances sur place et indiquer aux participants ce que ces drogues pouvaient contenir. Ce service supplémentaire a été très bien accueilli par la communauté rave avec laquelle nous travaillons.
Nous avons aussi commencé à offrir de l’aide en cas de cas de crise psychédélique, parfois appelée psychose toxique. Avec des renseignements glanés dans des programmes créés aux États-Unis et en Colombie-Britannique, nous avons conçu un module de formation des bénévoles pour qu’ils puissent aider n’importe quelle personne en état de crise psychédélique. Le module explique comment faire de cette crise une expérience de réflexion et de développement personnel pour le raveur. L’accent est mis sur l’offre d’un lieu sûr où les personnes sous l’influence d’une drogue peuvent s’exprimer en toute confiance. Il est courant de se sentir bouleversé quand on est sous l’emprise de drogues psychédéliques (le LSD et les champignons, par exemple). Nous nous concentrons sur les éléments qui peuvent accentuer cette sensation (notamment le manque de chaleur ou de nourriture, le besoin de parler à quelqu’un, de se retrouver au calme, d’être distrait). Nous essayons de supprimer les autres facteurs de stress de façon à permettre à ces personnes de se concentrer sur leur expérience psychédélique plutôt que sur ce qui les dérange. La priorité absolue est de recueillir des informations auprès de chacune d’elles et d’autres participants et d’évaluer la sécurité physique de toutes les personnes concernées.
Résultats
Le public a extrêmement bien accueilli notre action. Nous n’avons pas fait d’enquête structurée pour évaluer le projet, mais nous comptons créer un questionnaire simple grâce auquel les participants et les organisateurs pourront évaluer et commenter nos services. Nos nombreuses interactions personnelles avec les participants indiquent néanmoins clairement qu’ils apprécient notre travail et nous en sont reconnaissants.
Au début, les organisateurs saisissaient mal notre objectif; les actions de réduction des méfaits sont loin d’être nombreuses dans le milieu des raves. Aujourd’hui, la plupart des organisateurs ont pris conscience de la valeur de notre travail, et certains nous fournissent gratuitement du matériel.
Les fournitures offertes partant rapidement, nous avons compris l’importance de noter la quantité que nous distribuons et le nombre de gens avec qui nous interagissons. Selon nos estimations, lors des trois premiers raves où Project Safe Audience était présent, nous avons distribué plus de 600 paires de bouchons d’oreille, entre 500 et 600 condoms et environ 100 fiches informatives de chaque sorte. Dix participants nous ont demandé de tester des substances juste avant de les utiliser. Deux de nos tests de détection de la MDMA ont indiqué la présence de méthamphétamine. Dans les deux cas, les personnes ont choisi de ne pas consommer la drogue.
Nous avons exposé notre projet au congrès national de l’Association des étudiant(e)s infirmier(ère)s du Canada en 2017. Notre présentation PowerPoint était le sujet d’un atelier destiné aux étudiants et aux membres du conseil d’administration sur tout ce que nous avions appris, où ils pouvaient s’essayer au test de détection de substance à l’aide d’un réactif.
Enseignements tirés
Notre plus grand problème dans nos interactions avec la communauté rave était notre méconnaissance du jargon. Les gens donnent tous des noms différents aux drogues qu’ils prennent. Ainsi, on n’appelle plus la MDMA ecstasy. Les deux appellations les plus courantes sont Molly et Caps.
Nous avons compris que les bénévoles devaient s’habiller différemment, pour ressembler plutôt à des participants qu’à de jeunes professionnels. Avec notre uniforme composé d’un T-shirt noir et d’un pantalon kaki, nous n’avions pas l’air à notre place. Désormais, nous portons des vêtements colorés, parfois même une guirlande lumineuse.
À notre premier rave, le nom du projet ne figurait nulle part. Une simple bannière nous aurait aidés à engager la conversation. Nous avons aussi compris qu’il était important d’installer une boîte pour recueillir les dons destinés à l’achat de matériel, et d’apporter des cartes indiquant notre adresse courriel et le lien vers notre page Facebook.
Nos conversations avec les raveurs nous ont enseigné qu’il fallait prévoir un lieu sûr pour les gens qui font une crise psychédélique ou qui se sentent bouleversés ou mal à l’aise. Désormais, à chaque rave, nous cherchons un coin isolé, que nous équipons de couvertures, d’un éclairage tamisé, de bouteilles d’eau et de cahiers de coloriage. Un grand panneau signale l’endroit, et nous accrochons quelques lumières de Noël pour attirer les gens. Lorsque l’espace est occupé par quelqu’un, un bénévole de Project Safe Audience l’accompagne en tout temps.
Beaucoup des participants sont allés à Shambhala, qui comporte un excellent programme de réduction des méfaits. Ceux qui connaissent ce programme nous font immédiatement confiance et sont très désireux de venir nous parler, de nous serrer la main voire de nous prendre dans leurs bras, et de nous poser des questions. Le fait de savoir que nous disposons de trousses de tests de substances les encourage aussi à venir nous voir.
Prochaines étapes
À ce jour, Project Safe Audience a été présent à 12 raves à Winnipeg. Nous comptons participer à un rave par mois. Bien que nous-mêmes et les autres étudiants en sciences infirmières soyons désormais diplômés, nous continuerons à essayer de prévenir les dommages à long terme qui peuvent survenir lorsque les gens ne prennent pas les précautions nécessaires avant de participer à un rave.
Nous voulons mettre au point un programme de formation pour les organisateurs de raves, avec une présentation PowerPoint de 45 à 60 minutes suivie d’une période de questions. La formation portera sur la manière de communiquer et d’interagir avec cette communauté, de ce qu’il faut faire en cas de crise psychédélique et de la meilleure façon de solliciter les dons de matériel servant à la réduction des méfaits.
À l’avenir, Project Safe Audience prévoit d’organiser une formation sur l’utilisation de la naloxone à l’intention des organisateurs de raves et du personnel présent sur les lieux. En août dernier, nous étions à Shambhala pour former 90 bénévoles intéressés. Nous avons également formé deux organisateurs de raves à Winnipeg. Même quand nos bénévoles ne peuvent pas être présents à un rave, il y aura quelqu’un sur place qui sait comment renverser les effets d’une surdose et sauver une vie.
Bryce Koch, inf. aut., travaille aux urgences de l’hôpital général Seven Oaks de Winnipeg. Il était étudiant en sciences infirmières à l’Université du Manitoba lorsqu’il a cofondé Project Safe Audience. Avant ses études en sciences infirmières, il a suivi une formation et l’agrément pour être ambulancier paramédical en soins primaires avec Criti Care EMS.
Joseph Keilty, inf. aut., travaille aux urgences de l’hôpital général Seven Oaks de Winnipeg. Il était étudiant en sciences infirmières à l’Université du Manitoba lorsqu’il a cofondé Project Safe Audience.
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