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La crise du fentanyl

  
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Ses racines, son impact et les solutions proposées

janv. 03, 2017, Par: Kate Jaimet
ambulance on route to an emergency
iStockphoto/Bim

Pendant les neuf premiers mois de 2016, plus de 330 Britanno-colombiens sont morts d’une surdose de drogues illicites contenant du fentanyl, un puissant opioïde synthétique. En Alberta, pendant la même période, près de 200 personnes sont mortes de surdoses liées au fentanyl. Et en Ontario, en 2015, année la plus récente pour laquelle ces données sont disponibles, le fentanyl (seul ou combiné à l’alcool) a tué 198 personnes, un chiffre record, comparé à 91 juste 5 ans plus tôt. Créé il y a plus d’un demi-siècle pour servir d’anesthésique chirurgical intraveineux, le fentanyl a envahi le marché des drogues illicites pour grandement contribuer aux ravages de la crise des opioïdes au Canada.

« Je suis dans la police depuis 27 ans. J’ai assisté à l’arrivée de nouvelles drogues sur le marché – la méthamphétamine, le crack – mais aucune n’a autant nui à nos communautés que le fentanyl et ses analogues », tranchait Mike Serr, chef adjoint de la police au service de police d’Abbotsford, dans une présentation à la conférence récente sur les opioïdes. M. Serr préside le Comité sur la sensibilisation aux drogues de l’Association canadienne des chefs de police.

Le fentanyl est de 50 à 100 fois plus puissant que la morphine. Il était autrefois cantonné aux salles d’opération, mais depuis les années 1990, les médecins ont commencé à prescrire un nouveau timbre transdermique pour traiter les douleurs chroniques chez les patients atteints d’un cancer et qui toléraient les opioïdes. Rapidement, le timbre a été aussi prescrit à des patients souffrant de douleurs chroniques non associées à un cancer. Des pastilles et des comprimés ont suivi.

« Avec nos prescriptions, nous avons ouvert une boîte de Pandore », a déclaré le Dr David Juurlink dans son discours-thème à la conférence. Il dirige la division de pharmacologie clinique et toxicologie au centre de sciences de la santé Sunnybrook. « Nous avons inondé le marché de médicaments moins efficaces et plus dangereux qu’on nous l’avait enseigné. » Selon les meilleures données disponibles, environ 10 % des gens à qui l’on prescrit des opioïdes deviennent dépendants, a-t-il ajouté.

La disponibilité du fentanyl sur ordonnance ne cessant d’augmenter, une chaîne d’approvisionnement s’est établie, au sein de laquelle on peut voler le médicament dans les hôpitaux, les pharmacies ou les armoires à pharmacie des patients, puis le vendre au marché noir. Par ailleurs, des laboratoires chinois fabriquent et vendent à bas prix du fentanyl que des trafiquants nord-américains importent et mélangent à d’autres substances pour accroître leurs profits. D’après M. Serr, un kilo de fentanyl chinois valant 12 000 $ peut être transformé en un million de comprimés pouvant valoir jusqu’à 80 millions de dollars.

Bernie Pauly, spécialiste de la réduction des méfaits, est professeure agrégée à l’école de sciences infirmières de l’Université de Victoria et chercheuse au centre de recherche sur la toxicomanie de la Colombie-Britannique. « La consommation d’opioïdes et le risque de surdose touchent tous les secteurs de la société », souligne-t-elle. « Y compris nos adolescents, nos parents, nos frères et nos sœurs. »

Les drogues illicites échappant par définition à toute réglementation, il est généralement impossible pour tout un chacun de savoir si les drogues qu’il achète à un trafiquant contiennent du fentanyl. Cependant, le site d’injection supervisée du Downtown Eastside de Vancouver a lancé l’été dernier un programme pilote pour tester les drogues.

Une fois que le client a fait chauffer la drogue, avant qu’il ne l’injecte, on mélange le résidu à de l’eau et on trempe dans la solution une bandelette utilisée pour les tests d’urine. Ce test permet de savoir si la solution contient du fentanyl, mais pas en quelle quantité ou si elle contient des analogues (drogues similaires d’un point de vue chimique). Le carfentanil, un de ces analogues que l’on commence à voir sur le marché noir, est 10 000 fois plus puissant que la morphine. Il a été conçu pour de grands animaux, pas du tout pour les humains.

Selon Marjory Ditmars, infirmière et coordinatrice clinique à Insite, entre juillet et septembre 2016, 86 % des drogues testées contenaient du fentanyl. La majorité des clients choisissent de quand même s’injecter ces drogues contenant du fentanyl, mais ils prennent des précautions, réduisant par exemple la dose de moitié ou restant à Insite pour se piquer en présence d’une infirmière, qui pourrait les ramener à la vie en cas de surdose. « Il n’est pas rare de voir jusqu’à 8 ou 10 surdoses en un seul quart de travail », déplore-t-elle.

Les symptômes cliniques d’une surdose sont les mêmes pour le fentanyl que pour n’importe quel autre opioïde, sauf qu’ils apparaissent encore plus vite, explique Kristel Guthrie, infirmière autorisée et spécialiste de la promotion de la santé au programme de réduction des méfaits The Works, du Bureau de santé publique de Toronto. « En général, la personne est inconsciente. Elle respire lentement ou plus du tout. Son pouls est irrégulier, faible ou absent. Ses lèvres, l’extrémité de ses doigts et ses ongles sont bleus ou violets, sa peau grisâtre et moite. Tout ce qui se passe quand on manque d’oxygène », détaille-t-elle. « Parce que c’est de ça qu’il s’agit : une urgence respiratoire. Le fentanyl bloque les récepteurs (dans le cerveau) et toutes les fonctions vitales de base s’arrêtent. »

Une surdose de fentanyl se traite en administrant de la naloxone, médicament qui inhibe les récepteurs, et en effectuant une RCP. Si le patient ne revient pas à la vie, on lui donne d’autres doses de naloxone en attendant trois à cinq minutes entre les doses. La naloxone est vendue sous la marque NARCAN, sous forme d’injection intramusculaire ou de vaporisateur nasal.

Il est souvent plus difficile de ramener à la vie une personne qui fait une surdose de fentanyl, comparé aux surdoses d’opioïdes moins forts. « Avant, il nous arrivait très rarement d’utiliser plus d’une ou deux doses de NARCAN, mais maintenant, nous en donnons en moyenne trois, voire plus », affirme Mme Ditmars. « Avant, les gens sortaient de leur apnée complète et se remettaient à respirer après 5 à 10 minutes. Maintenant, il nous arrive de leur insuffler de l’air pendant une vingtaine de minutes avant que les SMU ne prennent la relève et les transportent à l’hôpital. »

De l’avis de Mme Pauly, les stratégies de réduction des méfaits fondées sur des données probantes – comme la création de plus de sites d’injection supervisée, la prescription d’héroïne et les traitements de substitution, ainsi que le dépistage accru des drogues – comptent « parmi les choses les plus nécessaires pour progresser et tenter de résoudre cette crise ». Elle veut que plus de personnel de première ligne, y compris plus de personnel infirmier, et de membres du public soient équipés de trousses de naloxone et formés pour intervenir en cas de surdose d’opioïdes, ce qui inclut les bases de la respiration de sauvetage.

« Les infirmières et infirmiers devraient participer aux interventions d’urgence et apporter leur soutien », affirme-t-elle. « Pourtant, ils en sont souvent empêchés par des politiques organisationnelles qui ne favorisent pas leur contribution à la sensibilisation et aux stratégies de réduction des méfaits. »

« Ils ont le savoir nécessaire pour intervenir en cas de surdose et pour enseigner à d’autres comment faire, comment rendre la consommation plus sûre, et comment faire pour les traitements de substitution et le traitement non pharmacologique de la douleur, ajoute-t-elle. Plaider pour la modification des politiques qui empêchent la mise en œuvre de stratégies de réduction des méfaits est un autre rôle tout aussi important pour eux. »

Une conférence et un sommet pour s’attaquer à la crise des opioïdes

La ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, et le ministre de la Santé de l’Ontario, Eric Hoskins, ont organisé d’urgence, à Ottawa, une conférence et un sommet de deux jours en novembre. Pour discuter de solutions possibles à la crise des opioïdes, ils ont réuni des professionnels de la santé, des premiers intervenants, des responsables des politiques, des fournisseurs de services communautaires, des représentants des forces de l’ordre et des personnes ayant consommé des opioïdes, prescrits ou non ou ayant souffert de dépendance.

Les signataires de la déclaration conjointe issue du Sommet, soit les ministres Philpott et Hoskins et 42 organismes gouvernementaux ou non, dont l’AIIC, l’Association canadienne des écoles de sciences infirmières (ACESI) et le Conseil canadien des organismes de réglementation de la profession infirmière (CCORPI), promettent d’améliorer la prévention, le traitement et les stratégies de réduction des méfaits pour combattre l’usage problématique d’opioïdes.

L’AIIC et l’ACESI se sont engagées à préparer pour les étudiants et le personnel infirmier autorisé, praticien et auxiliaire autorisé des ressources éducatives sur l’usage d’opioïdes et la réduction des méfaits et à les distribuer aux associations et ordres provinciaux et territoriaux d’ici novembre 2017. L’ACESI s’est également engagée à sensibiliser les membres des facultés de sciences infirmières sur la crise des opioïdes au moyen de blogues, de webinaires et d’articles dans ses bulletins d’information.

Le CCORPI s’est engagé à préparer d’ici juin des lignes directrices pour faciliter la mise en place d’un mode d’intervention normalisé pour :

  • la prescription d’opioïdes par les IP;
  • la formation des IP sur la réduction des méfaits, y compris sur la prescription de suboxone et de méthadone;
  • l’utilisation de systèmes électroniques de gestion pharmaceutique permettant de créer une liste complète et exacte des médicaments pris par le patient;
  • la surveillance des pratiques d’ordonnance et l’assurance de leur qualité;
  • l’enseignement aux IP des compétences en matière d’ordonnances, niveau d’entrée et remises à niveau;
  • l’enseignement des compétences de niveau d’entrée pour le personnel infirmier autorisé, y compris les façons de contribuer au contrôle efficace de la douleur et de limiter les possibilités d’abus d’opioïdes par les patients ou clients.

D’autres mesures touchent aussi le personnel infirmier autorisé et praticien. Le ministère de la Santé et des Services communautaires de Terre-Neuve-et-Labrador s’est engagé à couvrir le suboxone faisant l’objet d’une autorisation spéciale d’ici mars, en attendant que le Programme commun d’évaluation des médicaments de l’Atlantique soit prêt. Les consultations sur le plan incluront l’association infirmière de la province et se termineront en janvier. Le collège des médecins de la province s’est engagé à concevoir et mettre en place un nouveau programme de prescriptions sûres à l’intention des médecins et, par la suite, des IP, des pharmaciens et des dentistes.

En réponse à une question d’infirmière canadienne à la conférence de presse du Sommet, Mme Philpott a indiqué que le gouvernement fédéral publiera en janvier de nouvelles lignes directrices pour la prescription d’opioïdes. M. Hoskins a également confirmé que les gouvernements provinciaux et fédéral discuteraient du financement des traitements non pharmacologiques pour la douleur dans le cadre des négociations sur le nouvel Accord sur la santé.

Le gouvernement fédéral et plusieurs provinces se sont engagés à rendre plus accessibles le naloxone et la buprénorphine à emporter chez soi. Mme Philpott a en outre promis de modifier la Loi dite « sur le respect des collectivités »(aussi appelée loi C-2),adoptée par le gouvernement précédent, qui fait obstacle à la création de sites d’injection supervisée.

« Je trouve très encourageant que [la crise des opioïdes] soit vue comme un problème de santé publique qui ne peut être réglé par une seule province, un seul groupe, une seule profession ou une seule mesure », a déclaré la présidente de l’AIIC, Barb Shellian, qui participait au Sommet. Elle s’est en outre dite contente que Mme Philpott compte revoir la loi C-2.


Kate Jaimet est journaliste indépendante à Ottawa.

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